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Nov 08

Le chemin de l’Église au Zimbabwe : Entre mission de fondation et redécouverte de la vocation missionnaire

Du 2 au 12 novembre 2023, le Père Ludovic Nobel, accompagné de Patrice Riedo, l’économe général de la Société des Missionnaires de Bethléem (SMB), effectue une visite significative au Zimbabwe. Leur programme comprend une escale à la mission de Driefontein, où se situe la maison régionale des Missionnaires de Bethléem. Cette mission est actuellement sous la houlette du Père Terrence, un jeune prêtre dynamique dont l’engagement insuffle un nouvel élan à la communauté. Notamment, grâce à ses efforts, la ferme de la mission s’est considérablement développée, bénéficiant d’une rénovation majeure de son barrage, financée en grande partie par les Missionnaires de Bethléem. La découverte du domaine de 6000 hectares a constitué un temps fort de ce voyage.

Le samedi 4 novembre, une rencontre a eu lieu entre le Père Ludovic et Monseigneur Rudolph Nyandoro, évêque de Gweru, où ils ont discuté des perspectives de l’engagement de la SMB au Zimbabwe. L’évêque a exprimé son vif intérêt pour un renouveau de la présence de la SMB dans son diocèse et dans le pays tout entier.

Un autre événement marquant sera la rencontre avec les candidats à la SMB que le Père Ludovic prévoit de tenir à Harare, dans la communauté des frères et des sœurs de Jésus de Nazareth, au lieu-dit « The Manger ». Plusieurs candidats y résident, sous la direction spirituelle de Mère Lydia Fabian.

Cette visite n’est toutefois pas un premier contact avec le pays. C’est en 1938 que les premiers missionnaires de Bethléem sont arrivés au Zimbabwe, et après la Seconde Guerre mondiale, leur nombre s’est rapidement étoffé. En 1962, ils comptaient 162 prêtres et frères parmi eux. Le développement de l’Église locale dans les années 1970 témoigne de leur dévouement et de leur œuvre assidue.

Afin de célébrer cette visite et de rendre hommage à l’héritage missionnaire de la SMB au Zimbabwe, nous vous proposons une édition numérique d’un article issu du dernier numéro de notre almanach, l’Étoile de Bethléem – qui a également inspiré le nom de notre projet. Publié en 1988, ce numéro était entièrement dédié à la mission au Zimbabwe… et aujourd’hui, cet héritage missionnaire perdure.

De la mission à l’institution de l’Église (L’Étoile de Bethléem, 1988 «Zimbabwe : La société et l’Église»)

Missionnaire au Zimbabwe depuis 1956, le P. Oscar Niederberger relate ci-après l’évolution de la mission. C’est en 1938 que les premiers missionnaires de Bethléem sont arrivés dans le pays. Après la guerre, leur nombre augmenta rapidement. En 1962, ils étaient 162 prêtres et frères ; la région était devenue la plus importante des missions confiées à notre Société. Aujourd’hui, les missionnaires sont deux fois moins nombreux ; la mission organisée autrefois selon le modèle européen est devenue une Eglise locale. Comment le passage s’est-il effectué ? Quelles difficultés a-t-on rencontrées et rencontre-t-on encore ? Comment l’avenir se présente-t-il ?

Jusqu’au début des années 60, la mission confiée aux missionnaires de Bethléem dans le pays qui s’appelait alors la Rhodésie du Sud était considérée et ressentie par eux comme «leur propre mission». Le personnel et les moyens financiers engagés étaient considérables et l’on pensait qu’il ne fallait pas remettre prématurément l’œuvre entre d’autres mains. La vie religieuse des communautés chrétiennes était calquée sur l’image de l’Eglise de Suisse. Suivant l’exemple des Jésuites et des missionnaires protestants, on attachait beaucoup d’importance aux écoles.

D’après une prêtre africain, les missionnaires de Bethléem se distinguaient par le fait qu’ils étaient proches du peuple et qu’ils avaient de petites stations.

Tous firent l’effort d’apprendre le shona, la langue du pays. Circulant à bicyclette, souvent sous un soleil ardent, ils explorèrent de vastes territoires pour rencontrer les gens. Un inspecteur scolaire africain, de religion protestante, «s’est plaint» un jour à leur sujet :

«Les prêtres catholiques ont avec les gens des contacts plus étroits que moi. Ils se lient d’amitié avec les villageois en buvant de la bière avec eux. La, il n’y a que deux possibilités : l’amitié ou l’hostilité. Si tu acceptes l’invitation, tu as la partie gagnée.»

Grâce à ces bons contacts avec le peuple, grâce aussi au travail remarquable des Frères et à la fondation d’une Congrégation de religieuses africaines par Mgr Alois Häne, de nombreux instituteurs et catéchistes autochtones purent être recru tés. De 1947 à 1967, le nombre des catholiques passa de 21 000 à 128 000. De simples chrétiens furent souvent les messagers les plus efficaces de l’Évangile. Beaucoup de nos meilleures familles chrétiennes et de dirigeants laïcs les plus dévoués sont le fruit de cette première période de la mission.

L’empreinte coloniale

Malgré les résultats acquis, Il faut reconnaitre que l’Église avait alors, dans une large mesure, un caractère européen et colonial. Les Africains devaient s’adapter à notre forme de christianisme. S’ajoutait à cela une conception sacrale de l’Eglise, selon laquelle le rôle de direction du prêtre (blanc) était trop accentué. On avait repris le modèle européen de l’organisation des paroisses, des groupements et de l’Action catholique. La supériorité de la culture européenne était acceptée tacitement, d’où la difficulté de prendre pleinement au sérieux l’Africain en tant que personne et dans sa culture. Les liens de la mission avec les colonisateurs comportaient des avantages pour les écoles et rangeaient les missionnaires dans la classe supérieure et privilégiée des Blancs. Au total, la situation était telle que les chrétiens noirs se sentaient peu poussés à assume leurs propres responsabilités.

Le changement

Vers 1960, la politique raciste du Front rhodésien amena les missionnaires à s’interroger sur leur attitude: pouvaient-ils rester neutres ? Le nationalisme africain se réveilla et engagea la lutte pour que les droits des Noirs fussent pleinement reconnus. L’indépendance proclamée par le gouvernement blanc, puis la guerre de libération qui commença un peu plus tard exigèrent une prise de position. Après avoir hésité et cru en la possibilité de compromis, la plupart des missionnaires s’identifièrent peu à peu à la majorité opprimée et souffrirent avec elle. Grâce aux courageuses lettres pastorales des évêques et aux sacrifices des chrétiens et des missionnaires, l’Eglise retrouva sa crédibilité. Dès lors les conditions étaient créées pour qu’elle puisse vraiment s’implanter dans le cadre local.

Le deuxième concile du Vatican favorisa l’évolution. Il reconnut les richesses culturelles des peuples et demanda à l’Eglise de s’y enraciner. Le Chapitre régional de 1968 tira les conséquences de cette exigence pour le travail missionnaire. La mission fut définie comme un service apporté aux jeunes Eglises et aux Eglises pauvres. L’autonomie de l’Eglise locale fut reconnue ; les missionnaires ne devaient plus avoir le rôle de dirigeants, ils devenaient des collaborateurs.

Cependant, comme le diocèse de Gweru n’avait en 1973 que seize prêtres africains, il était difficile pour les missionnaires de cesser d’exercer un bon nombre de fonctions importantes.

Un pas important

Le 30 avril 1977 fut un événement marquant pour le diocèse de Gweru : Mgr Alois Häne renonça à sa charge en faveur d’un successeur africain, Mgr Tobie Chiginya. C’était un signe de confiance dans l’avenir de l’Eglise locale. Le diocèse décida de garder les institutions rattachées à l’Eglise, d’autant plus que la nationalisation redoutée des écoles et des hôpitaux n’eut pas lieu et qu’aujourd’hui [1988] le gouvernement souhaite, au contraire, le développement de ces établissements. L’effort principal du travail pastoral se concentra sur les paroisses existantes et sur la formation de petites communautés chrétiennes.

Une pénétration missionnaire dans le Sud, non touché par l’évangélisation, n’a commencé que récemment.

Des prêtres, des religieuses et des laïcs africains de plus en plus nombreux furent appelés à des postes de direction, les missionnaires furent ainsi amenés à vivre avec les prêtres africains, à les recevoir dans leur communauté et à devenir ainsi un ferment d’unité. Cette communauté de vie crée parfois des difficultés. Etant donné les différences culturelles, il y a des divergences dans la conception du travail, de la ponctualité, de l’hospitalité, des relations humaines et des questions financières. Des tensions se manifestent et, souvent, on ne dialogue pas assez pour les résoudre. Un effort réjouissant en vue d’aplanir les difficultés a été fait à la conférence diocésaine de 1984 : prêtres, frères et religieuses ont discuté des problèmes ressentis et ont dit oui au principe de la vie en commun.

L’Eglise locale se construit surtout dans les communautés chrétiennes. Ici, l’Eucharistie est au centre et, grâce au renouveau liturgique et musical, les célébrations sont devenues beaucoup plus vivantes.

De nombreux conseils paroissiaux assument leur responsabilité avec beaucoup de zèle. Le centre de formation érigé à Driefontein en 1972 prépare les catéchistes et les dirigeants laïcs. Récemment, deux paroisses ont été confiées à des catéchistes et à des sœurs diocésaines ; c’est une voie nouvelle pour l’avenir.

La relève?

Dans le diocèse, le nombre des missionnaires de Bethléem diminue de plus en plus et le vieillissement limite nos forces. La relève devient donc urgente, mais elle est exigée aussi et principalement par la nature même du mandat missionnaire. Il appartient désormais à l’Eglise locale de propager la Bonne Nouvelle par la parole et par le témoignage.

Toutefois, l’Eglise locale a encore besoin de notre coopération. En effet, les prêtres africains ne sont actuellement que vingt-cinq et leur nombre n’augmentera que lentement au cours des prochaines années. L’aide financière demeure nécessaire aussi, même si les paroisses font de gros efforts pour subvenir à leurs besoins. Jusqu’ici on n’est point parvenu à trouver une péréquation financière satisfaisante entre les Eglises riches (Europe, Etats-Unis) et les Eglises pauvres. Le problème est sous-estimé et trop vite mis de côté.

Notre Société missionnaire souhaite que nous prenions encore davantage en considération le travail de développement, l’engagement pour les droits de l’homme et les possibilités de nouvelles initiatives missionnaires.

Il y a là certaines difficultés à surmonter. L’intégration du travail de développement dans les structures pastorales ne progresse que timidement. Le synode diocésain, qui sera convoqué prochainement, offrira la possibilité de fixer de nouvelles orientations.

Si les dates, les chiffres et les structures ont de l’importance pour l’Eglise, la vie intérieure et le témoignage donné comptent davantage. Lors d’une rencontre de prêtres de pays anglophones, en août 1986, on a parlé de manière approfondie de l’Eglise locale. Les participants ont souligné le fait que l’Eglise locale n’est pas seulement une entité géographique et que l’évêque n’est pas tout.

L’Eglise locale consiste beaucoup plus en la présence de la communauté chrétienne au sein d’un peuple. Elle annonce l’Evangile dans la langue de ce peuple. L’Eglise locale se développe dans le peuple et raconte l’histoire du salut comme étant l’histoire de ce peuple.

Peut-être que, dans le diocèse de Gweru, nous parlons encore trop et sommes trop peu attentifs à l’art de raconter propre aux vaShona. Il faut absolument favoriser cet art, si l’on veut que l’Eglise trouve place dans le cœur des gens.

Oscar Niederberger