Il existe une manière d’attendre qui épuise l’âme : une attente figée, crispée, passive, où l’on se contente d’espérer que les choses changent sans jamais oser bouger. Et il existe une autre manière d’attendre : une attente vivante, confiante, active, qui se met en route malgré l’incertitude. Les lectures de ce jour nous invitent à cette seconde voie, celle du disciple qui sait que le Royaume n’est pas seulement un horizon lointain mais une réalité déjà entamée, fragile encore, mais bien réelle. C’est dans cet esprit que la liturgie nous enseigne aujourd’hui la vertu essentielle de la patience active.
La première lecture, tirée du Deuxième Livre des Maccabées, nous plonge dans une histoire bouleversante : celle de cette mère et de ses sept fils qui, sous la persécution, refusent d’abandonner leur foi. Ils savent ce que coûte la fidélité. Ils connaissent les risques, les douleurs, les conséquences. Pourtant, ils tiennent bon. Dans ces témoins héroïques, nous découvrons que la patience chrétienne n’a rien d’une résignation triste. Elle naît de l’espérance en la résurrection, de cette certitude que Dieu ne laisse pas mourir ce qui s’abandonne à Lui. Leur fidélité, nourrie de la promesse, dépasse la peur de la mort et illumine encore aujourd’hui le chemin des croyants. Leur patience n’était pas inaction, mais une manière de traverser l’épreuve en demeurant debout, en laissant Dieu être Dieu jusque dans l’abîme.
Lorsque nous passons à l’Évangile selon saint Luc, une autre scène se déploie devant nous. Jésus est proche de Jérusalem, et la foule autour de lui s’imagine que le Royaume va se manifester immédiatement, avec éclat, puissance et renversement. Il répond alors par une parabole : un homme part se faire investir de la royauté et confie à ses serviteurs une même somme, leur demandant de faire fructifier ce qui leur a été remis. Deux d’entre eux prennent l’appel au sérieux. Ils osent agir, ils engagent leur responsabilité, ils avancent dans la confiance. Leur patience est active : ils ne savent pas quand reviendra le maître, mais ils agissent comme s’il pouvait revenir à chaque instant.
Un seul, pourtant, reste immobile. Il cache la mine dans un linge, tétanisé par la peur, prisonnier d’une vision fausse de son maître. L’inertie qui le paralyse ne vient pas d’un manque de capacité, mais d’un manque de confiance. Il attend, mais c’est une attente morte, stérile, sans espérance. Jésus met ici en lumière une vérité essentielle : ce que nous faisons de notre vie dépend intimement de l’image que nous avons de Dieu. Si Dieu est pour nous un Père fidèle, nous avançons. S’il devient un maître dur, nous nous enterrons nous-mêmes.
Dans notre spiritualité de l’Enfant de Bethléem, cette parabole prend une couleur particulière. À la crèche, Dieu révèle que sa présence ne paralyse jamais : elle libère. L’Enfant, fragile, dépendant, exposé, n’est pas passif. Il est tout accueil, tout confiance, tout abandon. Et c’est précisément cette fragilité accueillante qui devient féconde. La patience de Bethléem est une patience qui avance, qui grandit, qui embrasse la route sans savoir où elle mène. Elle est la force douce et discrète de ceux qui ne se laissent pas gagner par la peur, mais qui s’abandonnent au Père avec la confiance des petits.
À la lumière de Bethléem, les serviteurs de la parabole nous apparaissent comme les visages de nos propres attitudes spirituelles. Parfois nous sommes de ceux qui se lancent, qui osent faire fructifier ce que Dieu nous confie — des dons, des talents, des relations, des responsabilités. Parfois, nous ressemblons davantage à ce serviteur paralysé, qui ne fait rien de mal, mais ne fait rien de bien non plus. Celui-là ne s’oppose pas au maître ; il se contente de ne rien risquer. Et c’est là, précisément, que Jésus éclaire notre manque : enterrer ce que nous avons reçu, c’est oublier que Dieu nous a créés pour grandir et non pour nous protéger du moindre mouvement.
La patience active que le Christ nous enseigne n’est donc pas un appel à l’effort désordonné ou à l’agitation frénétique. Elle est l’art de marcher à la suite du Seigneur en prenant au sérieux la grâce reçue, en croyant que nos petits gestes, nos initiatives humbles, nos fidélités quotidiennes sont déjà le Royaume en train de naître. Elle est la force tranquille d’un cœur qui sait que Dieu revient, mais qui ne remet pas au lendemain ce qui peut être semé aujourd’hui.
Ainsi, les lectures de ce jour nous invitent à sortir de la peur et de l’inaction, à reconnaître que Dieu a confié à chacun un trésor unique, à le faire croître, à le risquer, à le donner. La mère des Maccabées nous montre jusqu’où peut aller la fidélité ; les serviteurs du maître nous indiquent comment la vivre ; et l’Enfant de Bethléem nous apprend dans quelle disposition du cœur marcher : dans la douceur, dans l’abandon, dans une confiance qui ne s’éteint pas.
La patience active est finalement l’expression la plus simple et la plus belle de la foi : croire que Dieu agit même lorsque nous ne voyons rien, et nous mettre nous-mêmes en route pour que sa lumière prenne chair dans notre vie.
Prière du jour
Seigneur Jésus,
Toi qui confies à chacun un trésor unique,
libère nos cœurs de la peur qui paralyse.
Apprends-nous cette patience active
qui espère, qui avance, qui bâtit dans la discrétion.
Fais grandir en nous la liberté douce de Bethléem,
la fidélité courageuse des martyrs
et la confiance des serviteurs qui se mettent en route.
Que tout ce que nous recevons de toi
porte du fruit pour ton Royaume qui vient déjà.
Amen.
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc
En ce temps-là,
comme on l’écoutait,
Jésus ajouta une parabole :
il était près de Jérusalem
et ses auditeurs pensaient que le royaume de Dieu
allait se manifester à l’instant même.
Voici donc ce qu’il dit :
« Un homme de la noblesse
partit dans un pays lointain
pour se faire donner la royauté et revenir ensuite.
Il appela dix de ses serviteurs,
et remit à chacun une somme de la valeur d’une mine ;
puis il leur dit :
“Pendant mon voyage, faites de bonnes affaires.”
Mais ses concitoyens le détestaient,
et ils envoyèrent derrière lui une délégation
chargée de dire :
“Nous ne voulons pas que cet homme règne sur nous.”
Quand il fut de retour après avoir reçu la royauté,
il fit convoquer les serviteurs auxquels il avait remis l’argent,
afin de savoir ce que leurs affaires avaient rapporté.
Le premier se présenta et dit :
“Seigneur, la somme que tu m’avais remise
a été multipliée par dix.”
Le roi lui déclara :
“Très bien, bon serviteur !
Puisque tu as été fidèle en si peu de chose,
reçois l’autorité sur dix villes.”
Le second vint dire :
“La somme que tu m’avais remise, Seigneur,
a été multipliée par cinq.”
À celui-là encore, le roi dit :
“Toi, de même, sois à la tête de cinq villes.”
Le dernier vint dire :
“Seigneur, voici la somme que tu m’avais remise ;
je l’ai gardée enveloppée dans un linge.
En effet, j’avais peur de toi,
car tu es un homme exigeant,
tu retires ce que tu n’as pas mis en dépôt,
tu moissonnes ce que tu n’as pas semé.”
Le roi lui déclara :
“Je vais te juger sur tes paroles,
serviteur mauvais :
tu savais que je suis un homme exigeant,
que je retire ce que je n’ai pas mis en dépôt,
que je moissonne ce que je n’ai pas semé ;
alors pourquoi n’as-tu pas mis mon argent à la banque ?
À mon arrivée, je l’aurais repris avec les intérêts.”
Et le roi dit à ceux qui étaient là :
“Retirez-lui cette somme
et donnez-la à celui qui a dix fois plus.”
On lui dit :
“Seigneur, il a dix fois plus !
– Je vous le déclare :
on donnera
à celui qui a ;
mais celui qui n’a rien
se verra enlever même ce qu’il a.
Quant à mes ennemis,
ceux qui n’ont pas voulu que je règne sur eux,
amenez-les ici
et égorgez-les devant moi.” »
Après avoir ainsi parlé,
Jésus partit en avant
pour monter à Jérusalem.
Pour lire les lectures du jour, consultez AELF – 19 novembre 2025.
Pour méditer
- Quelle part de la mission que Dieu m’a confiée suis-je tenté d’« enterrer » ?
- Quels risques saints suis-je appelé à prendre pour le Royaume ?
- Comment puis-je vivre davantage la patience active de l’Enfant de Bethléem ?




























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